Pour combattre la solitude, l’ennui et l’angoisse, l’Unipop ne cesse de partager avec vous réflexions et plaisirs culturels : ci-dessous un texte de notre ami philosophe Guillaume Carron et , parmi les nouveaux podcasts, une série de « POP-UP artistiques », amoureusement choisis et commentés par Laura Foulquier
« Malheureusement, on reconnaît aussi une société à ses maladies. La covid 19 nous offre le portrait en gros de notre mode de vie, dresse notre caricature. Lorsqu’on regarde ce qu’il fait disparaître et ce que l’on tient à préserver, il donne de notre société une image aux traits marqués. Les personnes âgées depuis longtemps relayées hors des cadres familiaux sont les premières victimes ; la vie irait trop vite pour que nous ayons le temps de nous occuper d’elles. Les pauvres sont confrontés à la mortalité la plus grande et la maladie vient grandir le nombre de leurs fléaux. La culture est sacrifiée, sans réflexion aucune sur sa place politique, alors que les gestes barrières sont mieux respectés dans la plupart des salles de spectacles que dans n’importe quel transport en commun. Les gens sont confinés chez eux, repliés sur leur vie privée, comme si le libéralisme n’avait pas suffi à glorifier l’individualisme. Les bars et les restaurants se ferment, les lieux de vie et de sociabilité disparaissent au profit du télétravail et du rapport virtuel avec autrui. Tout est fait pour accentuer l’abstraction du rapport à l’autre, comme si les réseaux sociaux n’avaient pas achevé de remplir leur mission : faire disparaître le corps de la vie sociale et politique. Le masque qui a toujours servi à la fête ou au théâtre pour marquer un événement ou singulariser un personnage participe à la disparition des spectacles et à l’uniformisation de la société. Enfin les libertés disparaissent chaque jour un peu plus alors qu’on voit grandir sans cesse les pouvoirs autoritaires dans le monde. »
« Qu’on comprenne bien : aucune dénonciation ici d’une intention sous-jacente. Pas de grand complot. En France, le gouvernement réagit comme il peut et le fait même plutôt bien. Les mesures sont nécessaires ; mais il s’agit seulement de dire que nous faisons tous face, gouvernements ou peuples, aux nécessités que nous avons créées par nos modes vie.
Le Covid peint notre visage au couteau, creuse les rides de nos lassitudes, de nos inconséquences et de nos obsessions. Certains ont déjà dit que la naissance de ce virus était lié à notre mépris des équilibres écologiques. Il y a plus que cela dans ce symptôme viral. Ce n’est pas que notre relation avec la nature qu’il faut repenser, mais notre rapport à l’autre en général. Toute une politique est à réinventer, où l’âge et la pauvreté ne soient plus la cause de discriminations, où le ciment social et politique se forme d’abord grâce à une culture vivante et dynamique, faite de connaissances, d’art, de lieux de festivités et de créativité, où l’augmentation du plaisir individuel ne résonne plus comme une injonction indétrônable, où le désir d’un rapport social concret, en présence physique d’autrui, puisse se reconstruire dans l’espace public, où le progrès technique redevienne un moyen de la vie plutôt qu’une finalité absurde, où les masques symbolisent la singularité de chacun plutôt que le concert des individus sans âme, où la liberté enfin ne soit plus réduite aux calculs savants de la raison pour satisfaire un intérêt sans fin, mais liée à une exigence de créativité et de participation à la vie commune. »
Guillaume Carron 29/10/20